Fashion In Film : la mode sur grand écran
En 2023, la Cinémathèque dévoilait le cycle “Cinéma et mode en 20 films indispensables”. 10 autres propositions viennent compléter le croisement de ces deux industries culturelles enfants de la modernité.
Gia (1998), Michael Cristofer
Un biopic consacré à la vie de Gia Carangi, incarnée par Angelina Jolie. Supermodel avant l’heure, au cœur des années 80, mêlant chaos, drogue et l’épidémie de sida. D’une violence sourde, le film montre le traitement hypocrite des mannequins de mode au sein de l’industrie.
Mannequin In Red (1958), Arne Mattsson
Blood & Black Lace avant l’heure, suédois de surcroit, doté d’une tonalité comique et d’une ambition visuelle qui n’a pas à rougir devant le chef-d’oeuvre de Mario Bava.
Mahogany (1975), Berry Gordy
Ode à la flamboyance, à la dimension camp de la mode et à Diana Ross. Derrière la légèreté apparente du film (et une fin en demi-teinte), le spectateur trouve un héritage fashion maximaliste.
Halston (2021), Sharr White
Dans la catégorie biopic de couturier, la minisérie produite par Ryan Murphy met en scène Ewan McGregor en créateur ingénieux et suffisant. L’histoire d’un designer américain hautement populaire en son temps, avant d’être piégé par l’étau capitaliste de son industrie, qui rongera sa marque jusqu’à l’os.
L’année dernière à Marienbad (1961), Alain Resnais
Des costumes signés Coco Chanel pour un film spiral au chic incomparable. Entre souvenir et oubli, réminiscence et répétition ornée d’une légère variation. Un infime décalage qui témoigne de l’avancement du film, à l’instar de la mode qui avance saison après saison en piochant allègrement dans sa propre histoire pour se réinventer.
The Eyes of Laura Mars (1978), Irvin Kershner
Photographe de renom, Laura Mars est prise de visions de meurtres, option POV murderer. Dans ce thriller un rien camp, les connaisseurs reconnaîtront les inspirations derrière les mises en scène des photos de Ms Mars : Bourdin, Newton, Von Wangenheim, Turbeville…
In Fabric (2018), Peter Strickland
En deux parties, ce petit bijou fantastique brode sur la puissance du vêtement : hantise, obsession, déliquescence. Quand le symbolique prend vie jusque dans les recoins les plus sombres de la mode, de la fabrication à la possession.
Caprice (1986)
Première rencontre entre la réalisatrice Joanna Hogg et Tilda Swinton dans un court métrage qui aborde le rapport entre lectrice et magazine de mode. Où comment les mirages de papier glacé impactent la psyché des jeunes femmes et le cheminement pour s’en libérer. Une promenade d’indépendance digne d’un conte de Lewis Carroll.
Puzzle of a Downfall Child (1970), Jerry Schatzberg
Le mannequin, corps éphémère de la mode, adulé momentanément jusqu’à la déraison… et après ? Rien ou si peu. Le film revient sur le tourbillon d’une carrière de modèle, de ses remous jusqu’à l’effacement feutré.
Les Larmes amères de Petra von Kant (1972), Rainer Werner Fassbinder
Fassbinder décortique avec un soin d’esthète les relations de pouvoir dans la mode à travers Petra Von Kant, designer à succès, et ses mannequins/muses/assistantes. Un Phantom Thread lent, lesbien, sadique et délicieux.
Sur la mode et le cinéma
Les deux médiums ne forment pas un mariage raté comme j’ai déjà pu l’entendre. Ils opèrent simplement selon une liaison plus complexe. Il existe les films qui parlent strictement du monde de la mode : les biopics et fictions s’articulent autour de figures de créateurs, de mannequins, photographes, montrant l’univers mode par l’entremise de ses ambassadeurs. En parallèle, on dénote les films qui prennent la mode pour contexte de leurs histoire, et se servent des ressorts du monde de la mode pour nourrir esthétiquement la narration : c’est Blood & Black Lace de Mario Bava et une infinité d’autres gialli qui utilisent de jeunes mannequins et des boutiques de mode comme cadre de leurs intrigues sanglantes.
Troisième type de coexistence entre mode et cinéma : les films pour lesquels les créateurs de mode ont collaboré. Jean-Paul Gaultier avec Le cuisinier, le voleur sa femme et son amant, Paco Rabanne et Barbarella… La mode n’est pas leur sujet, mais elle s’épanouit sur la pellicule.
Enfin, il y a les films fashionables : ceux qui n’ont que peu à voir avec la mode à proprement parler, mais dont l’univers, le stylisme et les décors impulseront une inspiration indéniable aux créateurs. Des films dont les images finiront dans les moodboards des collections : ce sont toutes les références à Hitchcock que McQueen a disséminées dans ses défilés, c'est le fantôme de Matrix qui surgit dans l’ombre de longs manteaux de cuir ou de vinyle couplé à des lunettes de soleil géométriques. Ces films ne parlent pas de mode et leurs tenues devenues emblématiques n’apparaissent véritablement que quelques secondes à l’écran. Pourtant, leur héritage pèse sur la mode, et celle-ci amplifie l’impact dans l’imaginaire collectif à travers ses futurs défilés. Le cinéma nourrit la mode et celle-ci n’oublie jamais de lui rendre hommage. Une union plutôt fructueuse à mes yeux.
Ces films qui nourrissent notre imaginaire (que l’on soit designer ou simple utilisateur de Pinterest), il est important de les regarder. Ces images ont besoin du mouvement et de l’enchaînement des dialogues pour se doter d’une grille de lecture. Si ces screenshots sont si « fashionable », ce n’est pas seulement grâce à la mise en scène, les costumes ou les couleurs. Cela provient aussi des ressorts narratifs. La silhouette hitchcockienne inspire les créateurs, car elle sert à alimenter la mascarade, le double et changer l’identité de l’héroïne. Quoi de plus pertinent pour un créateur d’imaginer son vêtement, son accessoire encapaciter le porteur à choisir sa nouvelle identité à travers ses créations ? Mais pour cela il faut avoir vu la transformation de Marnie et de Judy. Cette inspiration cinématographique dont la mode se nourrit redevient pertinente lorsqu’elle se déploie dans sa totalité. Seule, l’image s’épuise vite et redevient vaine.
Il faut aller au-delà du screenshot et voir les films.
Le vêtement comme artefact poétique au cinéma
Le film Laurin (1989) s’ouvre et se conclut sur un vêtement : en fond abstrait, le tissu du manteau noir sert de rideau à l’ouverture du film et apporte le dénouement de l’intrigue, dans une figure spectrale à demi incarnée. Ce manteau est semblable à celui qui habille les allégories picturales de la mort : noir, opaque, ondulé de plis et doté d’une capuche, il enveloppe la silhouette et la cache. Un pur « cloak », de l’anglais désignant les manteaux d’un autre siècle, taillés comme des capes, à la fois lourds et enveloppants, imposants et solennels.
Dans le film, ce manteau est vecteur de souvenir : habit de défunt conservé comme une relique après le décès et que personne n’ose porter. Pendu à un cintre, enfermé dans une armoire, il est confiné à sa solitude. Que fait-on des vêtements de nos proches décédés ? Parfois, nous nous en séparons, en les jetant ou en les donnant à des œuvres de charité. Ils redeviennent tissu lorsque leurs matières sont recyclées ou s’allègent du poids de leurs souvenirs en prenant une seconde vie chez un nouveau propriétaire - une autre forme de réincarnation. Parfois nous les conservons : à la fois vêtement et fétiche du défunt, ils nous offrent un lien ultime, matériel et intime vers ces disparus qui nous manquent. Dans Laurin, ce manteau rattache une mère trop vite disparue à sa fille.
Lorsqu’il est à nouveau porté à l’issue de l’intrigue, ce manteau se meut en apparition. Cette vision gothique bordée d’un épais galon velouté est le réveil d’une morte dans le monde des vivants venant elle-même apporter la mort. L’allégorie se transmue par le choc du fantôme. C’est dans cet exemple de poétique cinématographique que l’on voit les vêtements se doter de sens et de poésie. Tout ce que signifie le vêtement, toutes les croyances, les valeurs et les idées que l’on a apposées sur des morceaux de tissu aux usages variés.
« Les techniciens de la Mode savent bien que rien ne définit mieux un tissu que son poids physique; on verra plus tard de la même manière que le variant qui permet, à titre implicite, de répartir les espèces innombrables de matériaux en deux grands groupes signifiants est précisément le variant de poids, sémantiquement (et non plus physiquement) c'est donc aussi le poids qui définit le mieux le matériau. Le vêtement semble retrouver ici le très vieux couple du Parménide, celui de la chose légère, qui est du côté de la Mémoire, de la Voix, de Vivant, et de la chose dense, qui est du côté du Sombre, de l'Oubli, du Froid; car le pesant est une sensation totale ; la terminologie le montre bien, qui assimile le sec (et parfois même le fin) au léger, et l'épais (le gros) au lourd ; peut-être saisit-on ici la réalité la plus poétique du vêtement : comme substitut du corps, le vêtement, par son poids, participe aux rêves fondamentaux de l'homme, au ciel et à la caverne, à la vie sublime et à l'ensevelissement, à l'envol et au sommeil : c'est par son poids que le vêtement se fait aile ou linceul, séduction ou autorité; les vêtements de cérémonie (et surtout les vêtements charismatiques) sont lourds : l'autorité est un thème d'immobilité, de mort ; les vêtements qui fêtent le mariage, la naissance, la vie sont vaporeux et légers. »
Roland Barthes, Système de la mode, I. Le code vestimentaire, 1. Structure du Signifiant, 9. Le Variant d’être, 11. Variant de poids (VIII).
Variation : c’est peut-être la clé du dénouement de ce film comme dans celui du vêtement. C’est le passage d’un état à un autre, une ligne subissant des courbes et poursuivant son tracé. La mort est cette ligne invisible, passant du vêtement au protagoniste fauché sous nos yeux. La variation est aussi la caractéristique de la mode vestimentaire : la combinaison d’itérations et d'altérations dans le temps de la production de vêtements, transformant les habits et leurs usages au fil des siècles. Dans Système de la mode, Roland Barthes construit toute une déclinaison de variants notables dans le vêtement de mode, qui change et varie au fil des saisons et des tendances. Parmi ces variants, il y a celui de poids, qui se retrouve dans les matériaux et les vêtements pesants. Manteaux, capes, laine et velours pèsent bien plus sur les épaules du porteur qu’une blouse en coton. Par le poids et la solennité qu’ils imposent, ils se placent du côté de l’inerte et de l’immuable, à l’instar de la mort.
Adaptation de textes publiés en story sur compte Instagram personnel en juillet 2022 et septembre 2023